En dissociant le travail du lieu qui lui était dédié, l’Open travail ouvre la possibilité d’un certain éclatement de la société de travail. Que devient dans ces conditions le lien d’appartenance à l’entreprise ?
Comme nombre d’activités réservées à des lieux spécifiques – éducation, santé, loisirs, etc. –, le travail a longtemps été synonyme d’enfermement. On travaillait dans un endroit dédié à cet usage, un lieu physique avec sa matérialité et ses codes propres, qu’ils soient d’accès ou de sociabilité, séparé du dehors, refermé sur lui-même. Au point de faire de l’entreprise une « boîte », comme si elle se coupait ainsi du reste au monde, si bien que « la boîte » a fini par désigner l’entreprise elle-même dans son ensemble.
Renouer avec le caractère vivant du travail
Rompant avec cette séparation, l’Open travail renoue au contraire avec le caractère vivant du travail sous une forme non plus coupée de la société, mais au contraire intimement en prise avec elle et immergée dans ses flux. Il lui redonne de la liberté – voire de l’oxygène si l’on observe les nombreux salariés qui ont décidé, suite à la crise sanitaire, de quitter les métropoles dans une quête d’une meilleure qualité de vie –, mais aussi de la créativité. Si l’on fait en effet l’hypothèse que travailler, c’est délivrer un service utile à la société (au marché), alors produire ce travail en prise avec la société représente un atout d’inspiration ou d’expérience à travers les observations que nous pouvons faire ou les conversations auxquelles nous participons.
Réhabiliter les communautés de travail
Comme l’a montré l’expérience du télétravail à grande échelle, ré immerger le travail dans la société peut poser un certain nombre de difficultés pratiques, quand il faut précisément s’extirper des contraintes de la vie quotidienne : sollicitations familiales, contraintes logistiques ou encore immersion dans les règles collectives d’un espace de co-working.
Mais cela représente aussi une opportunité inédite de réconcilier le travail et la vie, l’individu et le salarié là où l’aliénation soulignait que l’on devenait à travers le travail « autre que soi » (alienus signifie signifie étymologiquement « qui appartient à un autre »). A l’origine, l’économie n’est-t-elle pas d’ailleurs la gestion de la maison ?
Ce qui matérialise le travail n’est plus alors son inscription dans un lieu dédié avec les habitudes et les aléas de ses trajets quotidiens, la matérialité d’un site, sa culture et ses règles écrites et non écrites. C’est au contraire ce que l’on pourrait dénommer sa « capsulisation », c’est-à-dire son existence démultipliée dans des bulles singulières. On serait alors en présence de ce que le philosophe allemand Peter Sloterdijk nomme des « écumes », c’est-à-dire des intersubjectivités, des individus reliés entre eux à un niveau « micro », indépendant des grands cadres de référence généraux.
La vie en mode tribu
Pour autant, prenant sa place au sein de la société numérique et de ses nouveaux usages, ce nouveau contexte du travail n’atomise pas le travail en décomposant l’entreprise en une myriade d’individus. Il représente une chance de réhabiliter les communautés de travail à travers la participation, fût-elle en ligne, à l’activité de l’équipe et la contribution à ses projets, mais aussi à travers des relations et des réseaux de travail renouvelés avec ses collègues. Des contraintes du lieu on passe ainsi aux ressources du lien. En somme, l’Open travail, c’est la vie en mode tribu.
Signé : Olivier Beaunay
Olivier Beaunay
Après une carrière comme directeur de la communication dans l’industrie puis directeur général dans le secteur public, il se consacre à l’enseignement-recherche et au conseil en prospective, innovation et management (ESCP, HEC, Sciences Po). Il a participé à plusieurs missions d’intérêt général (Commission Attali, Institut Montaigne, Grand débat, Loi Pacte).
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